E s’è…

E s’è…

– Oh Toussaint, comu si ?

– Eh Ghjuvan, va be, i tu ?

– Je vais très bien ! Je viens de voir que la mairie de Zonza organise un concours en mémoire de l’anniversaire du tricentenaire de Pasquale Paoli. Il faut imaginer ce que serait notre île si la bataille de Ponte Novu s’était finie sur une victoire des nôtres.

– Iè, mais qu’est ce qui te met dans un tel état ?

– Aio, tu ne saisis pas ? Si nous avions gagné nous serions libres maintenant. Nous ne serions plus sous le joug des colonisateurs. Nous serions nos propres maîtres et pourrions gérer notre destin. Imagine une patrie Corse libre et indépendante représentée à l’international, une vraie nation avec son drapeau, son hymne, sa langue qui aurait pris la place qui lui revient dans l’administration, l’éducation et la vie quotidienne. Nous aurions une constitution insulaire, inspirée par les idéaux des Lumières, garantissant les droits civiques et le respect des traditions locales. Et puis notre monnaie, le soldo, que nous aurions fait prospérer. Imagine nos terres sans toutes ces constructions que les « pinzuti » nous imposent.

– Et tu crois que la vie serait aussi facile ? De quoi se composerait notre économie ? Comment une si petite île pastorale aurait pu évoluer et devenir financièrement indépendante car c’est cela qui fait réellement une nation. Déjà à l’époque Paoli cherchait des alliances financières à travers l’Europe.

– Pour ça il y a toujours des solutions, l’argent serait venu de l’extérieur bien entendu. Et il y a des Corse partout à travers le monde. Et puis notre île a des ressources, regarde tous ces minerais qui auraient pu faire la fortune de notre nation.

– Tu veux dire qu’il aurait fallu épuiser nos sols et polluer nos rivières pour assurer notre avenir économique. Bah pourquoi pas, et pour le reste, pour acheter les denrées nécessaires à tous, rien que sur l’aspect agricole nous n’avons jamais eu les espaces nécessaires pour assurer une polyculture suffisante pour assurer l’autonomie alimentaire.

– L’économie c’est aussi s’appuyer sur l’argent de l’extérieur.

– Comment ça de l’extérieur ? !

– Ben oui, chacun aurait participé à l’effort économique, c’est normal.

– Tu veux dire que ce serait par le biais d’un impôt ?

– Bah non, ce serait un acte volontaire, tout le monde le ferait.

– Hum à voir, peut être, et pour l’emploi ?

– La Corse a suffisamment de monde pour assurer tous les emplois, ce n’est pas un problème.

– Enfin, je ne suis pas certain qu’il soit aussi facile de combler les postes les moins valorisant aussi aisément. Tu accepterais, toi, de ramasser les poubelles ou de balayer les rues.

– Bah ça, c’est comme dans tous les pays, il y a des classes sociales, c’est la vie.

– Oui donc des pauvres et des riches comme partout. Mais est-ce que nous aurions évité les injustices ? Est-ce que tu penses que cette seule victoire aurait apporté suffisamment de bon sens et d’honnêteté pour pousser tout un chacun à respecter l’autre. Aurait-il été si facile d’éviter que certaines familles ne monopolisent le pouvoir et donc les richesses ? Pour ma part je ne pense pas !

– Iè, je vois ce que tu dis, mais dans la veine des évolutions lancées par Pasquale Paoli il aurait pu être prévu de limiter dans le temps cette part de pouvoir pour qu’elle soit répartie auprès de tous.

– Mais déjà à l’époque il y avait des leaders historiques, à commencer par les Paoli. Si Pasquale a été notre leader c’est en partie parce que son père l’avait été avant lui et que son frère Clemente avait lui aussi sa place dans la résistance. Et même eux n’étaient pas à l’abri des jalousies et convoitises diverses. Tu sais, la nature humaine est la même partout, on ne peut éviter que certains briguent le pouvoir sur les autres, c’est ainsi.

– Ié, mais quand même, rends-toi compte que nos aïeuls avaient décidé de tenir tête à l’une des plus grandes puissances mondiale, ce n’est pas rien ! Leur courage a été reconnu à l’international, Voltaire s’en était fait l’écho.

– D’accord, imaginons que la bataille ait été gagnée, qu’elles en auraient été les conséquences ? Est-ce que la France aurait quitté l’île sans rien tenter d’autre ?

– Ça aurait été un signal fort auprès de la population et tout le monde se serait soulevé, c’est sûr !

– Quand bien même, à cette époque tout le commerce se faisait par voie maritime et en Méditerranée chaque île était convoitée. Il suffit de voir aujourd’hui le résultat, seuls Chypre et Malte ont pu trouver une certaine indépendance et cela que très récemment à l’échelle du temps. Les Anglais auraient pu vouloir prendre la place laissée libre par leurs ennemis.

– Bah les Anglais, ils ont eu des possibilités mais jamais ils n’y ont mis les moyens, alors avec un peuple fort en face il n’y aurait eu que peu de risque.

– Admettons que cela soit arrivé, cette victoire aurait pu effectivement changer la donne en Méditerranée. La présence d’un État insulaire indépendant aurait pu modifier l’équilibre des puissances et influencer la dynamique coloniale en France et en Europe. Mais d’un autre côté cette défaite a eu une répercussion de cause à effet non négligeable puisqu’elle a tout de même influencé la face du monde. Les Bonaparte comme bien d’autres familles ont bénéficié après coup d’une reconnaissance de leur noblesse ce qui a ouvert aux garçons les portes du collège militaire. Sans cela Napoléon n’aurait jamais pu devenir empereur des Français et modeler une partie du monde. Et que dire de son héritage juridique, l’empire napoléonien a établi les codes légaux modernes, influençant durablement les systèmes juridiques en Europe et au-delà. Peut-être que c’est à nous de faire preuve de la même intelligence d’esprit que nos ancêtres pour enfin faire reconnaître la place centrale de l’île de Beauté au sein du monde moderne et ne pas nous recroqueviller derrière des préjugés de vaincus totalement obsolètes.

– Oui c’est ça, la Corse berceau du monde moderne, ça sonne plutôt bien.

– Hey guys, it’s time to get back to work, I’m not paying you to slack off !

(Auteur : Stéphane HAMARD 2025)

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