Cosh2053248 : Le messager de flore.

Cosh2053248 : Le messager de flore.

La voix est douce et envoûtante, bien qu’un rien artificielle, elle est celle de Xd9 l’assistant humanoïde de la jeune Professeur Lixia Cosh. Cette dernière vient de prendre place dans le fauteuil dont l’assise donne l’impression d’être en lévitation.

– Installez-vous confortablement, la séquence d’exploration va être lancée. Pouvez-vous me confirmer la destination ?

– Salut Xd9, note les coordonnées veux-tu : « Cosh2053248 ».

– Selon vos désirs professeur. Les premiers chiffres montrent qu’il reste 12 % d’exploration sur ce sujet.

– Merci, j’espère que ce sera suffisant pour avancer. Lance le protocole dès que je serai en phase.

Lixia avait le cerveau en ébullition, après le début de ses recherches à sa sortie de l’université interplanétaire de Miri elle avait tout d’abord eu l’impression de tourner en rond, d’avancer dans le noir. Mais, depuis qu’elle explorait le sujet « Cosh2053 », tout avait changé en elle. La jeune femme née sur Kleper 438-b aspirait désormais à poursuivre les recherches de celui qu’elle considérait comme son vieil aïeul.

Fille unique, comme le règlement l’exigeait, elle avait eu une enfance puis une adolescence somme toute banale. Il faut dire que la vie sur cette planète était parfaitement encadrée. Tout le monde vivait à peu près de la même façon dans la zone B. Ses parents étaient de fiables ingénieurs de l’institut scientifique. Ah ses parents, s’ils savaient combien elle avait changé. Elle avait quitté ce chemin tout tracé, qu’ils avaient envisagé pour elle, pour se lancer dans une quête qui leur aurait certainement paru insensée. Eux l’avaient préparée selon les indications du directoire à entrer en tant que maître de conférences de l’institut scientifique, un poste reconnu et très bien rémunéré mais somme toute d’une extrême tranquillité. Au moins elle y avait très vite trouvé un tout autre intérêt, le temps qui ne manquait pas lui avait permis de se lancer dans des recherches sur un sujet qui l’intriguait depuis bien longtemps.

Pour cela elle ne remercierait jamais assez son compagnon, lui-même archiviste à l’institut scientifique. Il est vrai que c’est un peu Crisento Oliviera qui lui avait insufflé cette volonté de faire évoluer l’Espace. Un brun rêveur et peut-être pour agrémenter son plan drague, dès leur rencontre il n’avait pas hésité à lui parler de la « Terre », de cette planète quasiment morte d’épuisement mais qui recelait auparavant des trésors incommensurables. Il avait passé des dritons à lui en décrire les composantes liquides, solides, des espaces marins aux espaces terrestres. Crisento avait même détourné le règlement et sorti de vieux documents palpables où l’on voyait différentes sortes d’êtres, des animaux selon les légendes. Mais Lixia avait aussi et surtout constaté le réalisme des décors, bien loin des pixélisations qui agrémentaient les mégapoles de sa planète de naissance. Des décors qui, dans les séquences visuelles auxquelles ils avaient pu accéder, semblaient vivre bougeant en rythme avec tout ce qui les entouraient. Le côté surnaturel de toutes ces choses avait été pour la jeune femme une vraie révélation au point de devenir l’unique centre d’intérêt de ses recherches.

Lixia connaissait l’histoire de l’être humain sur Kleper-438 b, tout était clair et bien réglé. Il faut dire que depuis l’alliance avec les Kleperis tout l’univers devait aller dans le même sens et tendre vers une vie de tranquillité établie sur les bases de l’évolution incessante de l’intelligence artificielle. Une sorte de formatage commun qui devrait permettre aux générations futures de vivre sans souci. Telle avait été l’ultime solution retenue par les dirigeants de la race humaine il y a déjà plusieurs générations.

Plus elle avait exploré les archives avec Crisento plus elle était allée de découverte en découverte. La race humaine avait pour origine la planète Terre, comme toute civilisation elle avait évolué vers une modernisation sans fin. Les habitants de la vieille planète avaient progressivement été regroupés dans des mégapoles où le moindre espace était exploité, puis, quand les éléments avaient commencé à se détériorer, ces zones habitées avaient été recouvertes par des bulles protectrices aseptisées. Elle avait ainsi pris conscience de la façon dont le monde terrestre avait couru en avant vers un gouffre qui aurait signé sa chute si l’exploration galactique n’avait pas ouvert de nouveaux horizons, mais à quel prix ? Les terriens avaient dû passer des accords diplomatiques avec les kleperis et surtout accepter les conditions de ces derniers et en premier lieu l’abandon de la planète bleue en partie vidée de ces ressources énergétiques. Il était apparu impossible aux ancêtres de résister à l’apport technologique de ces voisins très éloignés et pourtant si ressemblant, si ce n’était la présence d’une seconde paire de bras et d’un teint vitreux.

Ce n’est par contre que dans un passé relativement proche que ses recherches avaient pris un nouveau tournant au point d’en devenir obsessionnelles.

– Professeur, souhaitez-vous que j’active la sécurité ? La voix de Xd9 venait de sortir Lixia de sa réflexion.

– Oui, et renforce les alarmes s’il te plaît je ne veux pas être dérangée.

– Très bien, j’isole le laboratoire et passe au niveau 10.

– Xd9 monte au maximum.

– Il sera fait selon votre volonté.

Lixia replongea aussitôt quelque temps en arrière, ce moment où, alors qu’elle batifolait avec Crisento dans un local des archives, elle avait fait la rencontre d’un groupe d’humains bien particuliers. Leurs accréditations leur donnaient un accès illimité au secteur des archives et ils avaient pris l’habitude de s’y retrouver, la nuit, en toute tranquillité. C’était également la possibilité de jeter un œil dans tous ces vieux caissons remplis de multiples supports contenant tout ce qu’il pouvait exister sur la mémoire terrestre. Bien qu’extrêmement vieux et délaissés ces documents ne pussent en général être consultés sans une raison valable. Cette fois-là, c’est le bruit qui avait interrompu le jeune couple dans ses ébats. Crisento intrigué était intervenu de façon autoritaire bloquant toutes possibilités de sorties et ils s’étaient retrouvés face à face avec une dizaine d’individus portant des vêtements de qualité médiocre qui ne pouvaient cacher leur intérêt pour les archives dont ils fouillaient les boîtes. Écoutant avec attention les explications des visiteurs, Lixia et Crisento avaient vécu une véritable révélation. Tout comme eux, d’autres aspiraient à une vie très différente, loin des principes de tranquillité et d’avancée permanente dans l’IA, loin de cette vie stérile et monotone à laquelle on les préparait depuis leur naissance. Lixia venait également de comprendre que sa condition n’était pas la même que celle de ces personnes. C’est ainsi qu’elle apprit qu’il n’existait pas que la zone B comme on avait voulu le lui faire croire. Et certaines zones nesemblaient pas devoir être enviées, pire encore, avec son compagnon ils prenaient soudain conscience que leurs vies étaient régies par un régime autoritaire.

À partir de ce jour les visites aux archives devinrent régulières et ils mirent en place plusieurs protocoles de sécurité à leur sauce pour éviter toute surprise malencontreuse. Des rassemblements périodiques mais surtout secrets au cours desquels de nombreux éléments s’échangeaient avec les autres visiteurs. Un but commun poussait le groupe à rechercher autre chose sans pour autant avoir une idée précise de quoi il s’agissait. Une volonté d’un monde nouveau, plus libre, plus en adéquation avec leur essence même.

Ce n’est que lorsque Jacek Watson, un jeune homme légèrement plus âgé que Lixia qui opérait selon ses dires comme mécanicien à la centrale énergétique en zone D, ouvrit le caisson réservé à l’année 2053 que leur quête commença à prendre une véritable direction. Plus précisément lorsque ne sachant qu’en faire il avait apporté à la jeune chercheuse un dossier numéroté « Cosh2053 ». « Cosh », le même patronyme que le sien, Professeur Louis Alexandre Cosh, faisait-il partie de sa famille ? Lixia avait bien tenté d’en apprendre plus sur cet homme auprès de ses parents prétextant une étude en relation avec sa chaire de conférence mais rien ne lui avait été révélé, il semblait que cet aïeul avait mystérieusement disparu des mémoires familiales, une raison supplémentaire pour titiller l’intérêt de la jeune femme.

L’étude du sujet « Cosh2053 » occupait maintenant toutes ses nuits, au grand damne de Crisento qui se sentait quelque peu délaissé. Mais il y avait tant à apprendre de l’exploration des documents découverts.

– Professeur, mes capteurs font état de présence inhabituelle dans le secteur 6.

– Euh, oui Xd9 tu m’as bien dit le secteur 6 ?

– Oui Professeur, dois-je prendre des mesures d’autodéfense ?

– Non Xd9 il doit s’agir d’un professeur qui rejoint son bureau. Reste vigilant et tiens-moi au courant.

Lixia n’était pas plus inquiète que cela, mais il lui fallait prendre en compte toute possibilité de contrôle inopiné, surtout depuis qu’elle avait pris la mesure de la fourberie des dirigeants autoproclamés. Il faut dire que l’usage excessif de son badge d’accréditation successivement dans le secteur des archives puis dans celui des laboratoires d’études lui avait valu plusieurs réflexions et questionnements du CSE, comité de surveillance et d’éthique. Jusqu’à présent elle s’en sortait en prétextant des recherches pour la présentation d’une nouvelle étude sur l’évolution positive et les bienfaits sociétaux de l’intelligence artificielle. Mais, son but réel consistait à appréhender au mieux les rapports de ce professeur Louis Alexandre Cosh qu’il soit ou non de sa famille. L’homme, qui avait vécu au milieu du XXIe siècle terrestre et dont le travail recensé semblait s’arrêter peu avant l’Exode planétaire, était à l’origine un remarquable professeur en biologie et en géologie. Il avait quitté son emploi à l’université de Stanford pour rejoindre un poste de consultant auprès de l’Organisation Mondiale de la Santé. Lixia en prenant connaissance des rapports archivés avait déterminé rapidement que ce chercheur avait été missionné pour couvrir tous les évènements pouvant interférer dans la gestion des ressources énergétiques mondiales. Une constante était apparue, le professeur Cosh savait de quoi il parlait et ne mâchait pas ses mots. Pour lui, la société humaine dans sa recherche de confort absolu laissait la planète se détériorer en y puisant toujours plus d’éléments soi-disant vitaux. Ses écrits faisaient régulièrement état de questionnements quant à la surconsommation d’énergie pour reproduire artificiellement des choses qui existaient à l’état naturel. Dans le courant de l’année 2053, qui voyait une dégradation accélérée de la planète et augurait d’une fin de plus en plus proche, l’homme menaçait même régulièrement de démissionner, chose à laquelle il lui était répondu qu’un tel acte serait considéré comme une désertion et puni comme telle.

Dans ses recherches Lixia savait pouvoir utiliser un autre moyen d’exploration, une bien belle invention que celle de la maîtrise du vortex temporel. Combien de temps aurait-il fallu attendre encore pour maîtriser une telle technologie s’il n’y avait pas eu ce traité entre les habitants de la vieille planète et ceux de Kleper 438-b. Il était loin le temps de la réalité augmentée qui n’apportait que de supposées conclusions, de simples hypothèses. Les « kleperis » avaient apporté aux humains une technologie fascinante. Une technologie avec laquelle il était possible de sonder directement les mémoires. Qu’elles soient vives ou éteintes. L’usage de ce vortex lui avait donné accès à de véritables moments de vie du professeur Cosh et à ses échanges avec un certain nombre de confrères et d’amis qui partageaient ses craintes, tout comme une partie de la population humaine, sur les changements en cours à l’époque. Il ne cachait pas non plus son support pour des factions sécessionnistes lancées dans une lutte énergétique, dont certaines avaient même réussi à détourner une partie de l’eau douce destinée aux mégapoles.

Plus elle avançait et partageait les avis et idées du professeur Cosh de 2053 plus Lixia sentait un esprit frondeur prendre racine en elle. Cet illustre professeuravait œuvré toute sa vie non pas pour inverser la tendance et freiner l’évolution, mais pour tenter de modifier les comportements destructeurs de ses contemporains, pour les orienter vers un Monde meilleur. Un point qu’elle se sentait prête à faire sien et ce d’autant plus depuis que Jacek lui avait décrit les injustices qui existaient dans les zones dites inférieures, des injustices bien cachées aux yeux des résidents des zones supérieures.

Bien qu’elle ne l’affiche pas publiquement, la jeune chercheuse en arrivait à exécrer le directoire et ses annonces régulières étalant des données chiffrées sur les avancées scientifiques tout en cachant les éventuelles difficultés qui auraient pu démoraliser la population. Il lui fallait également faire preuve d’une grande concentration lors de ses prises de paroles auprès des centaines de pseudo-étudiants dont les avenirs étaient tout tracés. Elle ne pouvait se permettre d’attirer l’attention de ses supérieurs alors même qu’elle commençait à organiser une véritable fronde.

Les longues discussions qu’elle partageait avec Jacek, et qui n’étaient pas vraiment du goût de Crisento, venaient enrichir ses nouvelles connaissances sur la société qu’elle pensait pourtant connaître. Une société kepleris-terrienne basée sur un système de castes cloisonnées dans le seul but de favoriser la main mise sur le pouvoir central de quelques privilégiés. Il avait ainsi été porté à la connaissance du jeune couple qu’il existait, dans les zones inférieures, une force de régularisation chargée de traquer le moindre acte d’irrégularité et qui faisait tout pour étouffer toute ébauche de pensée révolutionnaire.

– Par quoi voulez-vous commencer professeur ?

– Ouvre le journal là où je m’étais arrêtée je te prie.

En une fraction de juxton l’écran s’éclaire et laisse apparaître des suites de signes qui n’ont maintenant plus de mystère pour Lixia, cette langue elle la maîtrise totalement depuis qu’on lui a inséré le module translator 675.

*****

Extrait du journal du professeur Cosh.

2053, 248e jour – Camp de base expérimental n° 6549 – KBI pour Kyrnos beauty island.

Voilà déjà plusieurs années que je tente de récupérer des données qui nous permettraient de comprendre comment nous en sommes arrivés là.

Le monde survit alors que la planète se meurt. L’homme, dans sa convoitise et sa volonté de pousser toujours plus loin, a, peu à peu, créé un mode de vie aseptisé. C’est tout juste si la totalité des cités ne sont pas mises sous cloche pour, soi-disant, protéger les citoyens des virus et bactéries. Déjà autour de ces ensembles urbains fleurissent des espaces verts artificiels mêlant, il faut bien le reconnaître, de bien belles imitations d’arbres et de fleurs.

Mes recherches m’ont fait parcourir ce monde dans tous les sens. Régulièrement il m’est demandé des avis sur les évolutions en cours et sur les potentiels énergétiques de notre pauvre planète. Je le fais sans illusion. Qui suis-je pour envisager, espérer changer les choses ? Non, je fais mon travail, je découvre, j’examine, je rends compte, mais au-delà j’aspire à comprendre.

Je suis arrivé au camp de base hier au soir après deux mois d’un voyage harassant mais non sans intérêt. Il m’a fallu emprunter tant de types de transport différents, de l’Intercity et ses coussins d’air au char marin tracté par une meute de dauphins robotisés en passant par les réseaux Hyperloop propulsés à l’hydrogène et sans oublier les Jetboots, ces chaussures ultra-performantes permettant la lévitation.

J’ai traversé une partie de l’ancienne Europe, navigué sur la Méditerranée et me voici enfin arrivé.

Bien que perclus de fatigue, je n’ai pu fermer l’œil de la nuit. J’ai trop hâte de le voir, ce phénomène. Et pour autant, je n’en sais pas plus sur lui que ce que j’ai pu lire dans le rapport xk8034 relatant les évènements hors normes du sexton écoulé.

Il y est présenté comme « le messager », mais qui est-il vraiment ?

Étrangeté, innocence, sagesse, puissance tels sont les mots utilisés par les ingénieurs découvreurs pour le définir. À ce stade, je sais qu’il a été découvert il y a moins d’une décade par une équipe de prospection en charge de procéder à des moulages de vieilles essences arboricoles.

Il faut bien admettre que ce n’est pas une si mauvaise idée de lancer une nouvelle chaîne de production et de diversifier les décors semi-urbains car, jusqu’à présent, toutes les zones vertes ont une telle ressemblance qu’il est difficile de déterminer les cités auxquelles elles appartiennent.

Que vais-je découvrir ? Aucun élément ne me permet de savoir d’où il vient ni qui il est. Une seule chose est certaine, l’être comme il est appelé, semblait attendre au plus profond de la forêt de l’Ospédale que l’on vienne le trouver…

*****

– Xd9, enclenche la séquence de mémoire du sujet s’il te plaît.

– C’est lancé professeur.

248e jour de l’année 2053 sujet Cosh – lecture mémoire:

*****

— Professeur Cosh ? Enfin vous voici.

Mon interlocuteur n’est autre que le directeur du site, un illustre ingénieur en chef, le docteur Ashfred, un homme dont la renommée internationale n’est plus à faire. Un grand chercheur qui s’est illustré de longues années dans les sciences humaines avant de s’orienter dans la Néo biologie.

— Bonjour Docteur ! Oui je suis arrivé tard hier au soir. Je vous remercie d’avoir attendu ma venue avant d’entreprendre quoique ce soit.

— Le directoire a été on ne peut plus clair sur ses intentions, un tel phénomène se devait d’être examiné sans aucune altération.

— C’est bien ce qui m’a été indiqué avant mon départ précipité. Mais serait-il possible d’en apprendre un peu plus sur ce phénomène car le rapport ne mentionnait que fort peu d’éléments.

— Ne soyez pas étonné professeur, c’est une décision mûrement réfléchie par le bureau des investigations. Cette découverte est, comment pourrai-je le dire, Plutôt extraordinaire et quelque peu dérangeante. Toutes les recherches dans les archives sont catégoriques, jamais une telle chose n’avait été recensée dans le monde. Mais la meilleure façon de comprendre est encore de voir « ce messager ». Alors si vous le voulez bien, je vais vous demander de me suivre.

— Avec un grand plaisir Doc. J’attends ce moment avec impatience. Mettons-nous en route au plus vite, je suis prêt. Et en chemin peut-être pourrez-vous m’affranchir de quelques autres indications complémentaires, à commencer par l’origine de ce messager.

— Euh, et bien, là encore le mystère reste entier. Les hommes qui l’ont découvert ont décrit une scène surréaliste, la chaleur était suffocante, l’air saturé de particules. Le groupe parti prélever des moulages de quelques espèces végétales endémiques est tombé dessus par pur hasard. Leur quête les a amenés au pied d’un vieux pin lariccio enserrant entre les bras de ses racines un petit être inanimé. Chose plus surprenante encore, ce que l’on pourrait définir comme un enfant était dans un état de somnolence avéré. Il était calé entre deux bras de bois. Un peu comme si l’arbre avait voulu créer une protection naturelle autour de lui, empêchant quiconque de l’en sortir.

— Et, depuis cette découverte, personne ne l’en a sorti ? ! C’est bien ce que vous voulez dire ?

— Oui tout à fait, nous avons suivi les directives d’en haut.

— Mais au moins, j’ose espérer que vous avez pu le soigner et l’alimenter sur place ? !

— Continuons vous verrez par vous-même…

Pendant plusieurs heures, nous déambulons sur de nombreux sentiers, je ne sens plus mes pauvres jambes qui ont depuis longtemps perdu l’habitude de telles activités. L’air est étouffant. Pourquoi n’ai-je pas troqué ma combinaison de voyage en néoprène allégé pour une tenue plus adapté à cet effort.

La journée est bien avancée, lorsque enfin nous arrivons sur site. Là, autour d’un arbre plus que centenaire a été déployée une immense tente blanche. Elle cache habilement toute la partie basse du tronc. Un socle que j’imagine aussitôt d’une circonférence exceptionnelle. Nous entrons dans un premier sas où il nous faut nous changer, enfin ! Je passe sous une douche antiseptique avant de revêtir une combinaison blanche, ultralégère. J’ajuste la capuche et sur les indications des gardes, je pose sur mon visage un masque de protection.

— Désolé Professeur mais nous devons respecter un protocole strict afin d’éviter toute contamination réciproque avec le sujet.

Ça y est, après une si longue attente, je me trouve enfin dans la salle d’observation avec le Doc et son équipe. L’enfant est là devant moi, stoïque, il respire, observe, et pourtant, côté conscience, rien ne se passe, aucune réaction, aucun mot, rien… Enfin, pas tout à fait, quand je tente de lui adresser la parole il s’anime soudain, telle une marionnette. Et, le regard fixe, d’une voix pleine de vigueur, il délivre ce message :

« Toi qui m’écoutes, pose-toi, respire. Je dois t’informer, t’avertir, te mettre en garde. Depuis sa création notre planète a mis en place les éléments nécessaires à la survie de ses différents habitants. L’arbre y tient une place particulière. Une place que l’être humain a prise naturellement pour référence.

Qu’il soit petit ou grand, quelle que soit la teinte de son feuillage, l’arbre est un don. Il permet la vie en agissant sur le cycle de l’air et celui de l’eau. L’arbre a apporté plus que sa part à l’humanité, nourrissant de ses fruits, soignant de ses vertus thérapeutiques, abritant et chauffant de son essence même.

Toi qui m’écoutes, souviens-toi comme il a insufflé la sagesse, le respect, la connaissance, la paix. L’arbre est un exemple qui longtemps a été suivi. Il enfonce profondément ses racines, s’encre à la terre. À travers le temps l’arbre a su fournir force et réconfort.

Alors, toi qui m’écoutes, regarde autour de toi et dis-moi… N’êtes-vous pas allés trop loin ? Bafouées les racines, bafoué le respect, bafoué l’amour des autres. Tout s’oublie peu à peu.

L’arbre a su se sacrifier, fournissant nourriture et matériaux, alors, pourquoi ne cesser de lui en demander plus encore ? Quelles déviances sont suffisamment fortes pour générer déforestations, maladies, incendies et que sais-je encore.

Toujours plus… Surexploitation, surconsommation, surexposition…

Une chose est sûre cependant, remplacer l’arbre par de bien pâles imitations ne suffira pas à calmer la colère qui monte.

Toi qui m’écoutes, sache que l’arbre peut tout autant meurtrir, priver, tuer ! Dans une inexorable fuite en avant tu as appris à t’en passer pour manger, te chauffer, t’abriter. Mais es-tu certain de pouvoir t’en passer totalement ? N’as-tu aucune crainte de perdre toutes ses vertus qu’il n’a pas hésité à partager ? Es-tu prêt à affronter l’assèchement, l’asphyxie, la mort ?

Toi qui m’écoutes, que reste-t-il de ce que tes aïeux devaient te transmettre ? Que te reste-t-il à transmettre à tes enfants et aux enfants de tes enfants ?

Toi qui m’écoutes, réagis, agis ! Il est encore possible de changer le chemin. Reviens vers tes racines, reviens vers celles de l’arbre. Réapprends l’amour et le respect de la nature. Car elle, dans sa bonté, saura t’insuffler la force et la sagesse nécessaire. Crois en l’arbre tout autant qu’il a cru en l’homme depuis la nuit des temps. Ne le déçois pas au point de le voir disparaître. Bien au contraire, réapprends à le soigner, à prendre soin de lui, qu’il soit grand ou petit et quelle que soit la teinte de son feuillage.

Tel est le propos que j’ai été chargé de transmettre. Et je le fais par la voix de l’innocence, celle du messager de flore… »

Le silence s’impose, devant moi, l’enfant se tait et redevient amorphe. Je me tourne vers le Doc, l’interroge du regard.

— Nul ne sait comment le sortir de cette apathie. À chaque nouvel arrivant, il délivre le même message puis se tait.

Je suis là ébahi, je m’interroge : que faire de ce phénomène ? Quelles préconisations vais-je bien pouvoir donner au directoire qui m’a missionné. À nouveau, j’examine attentivement ce petit être pour tenter de comprendre ce qui peut bien se passer.

Devant moi, il semble être ni plus ni moins qu’une excroissance de l’arbre. Il n’est pas très grand. Je ne pourrai dire s’il est nu ou habillé. En fait, il est entièrement recouvert d’une fine couche d’écorce, seuls son regard et ses paroles le distinguent réellement du vieil hôte. Et pourtant il m’a semblé si plein de vie !

— Et vos conclusions Doc ?

— Comment ça mes conclusions ?

— Qui est-il ? Comment le sortir de là ?

— Nous ne pouvons le classer simplement comme humain, voyez comme il est partie intégrante de l’arbre. Nos dernières analyses montrent que si nous tentons de le sortir il mourra instantanément. La question est que faire d’un tel phénomène ?

De mon côté, j’ai saisi, j’entraperçois un chemin. Enfin, j’ai un commencement de réponse à mes questions…

L’homme qui écoute saura-t-il prêter une oreille attentive et recevoir le message ? Saura-t-il soutenir le messager ?

Je sais d’ores et déjà quels mots je vais utiliser pour finaliser mon prochain rapport à l’OMS, il s’agira de questions simples mais précises qui je l’espère pourront secouer nos dirigeants de la torpeur qui les entoure.

« Et vous qui me lisez, n’avez-vous jamais ressenti ce sentiment de bien-être et de sécurité lorsque, en paix, appuyé contre un arbre, vous vous abandonnez ?

Vous qui me lisez, vous pensez-vous prêt à agir et à relayer ce message d’espérance ? »

*****

Lixia a beau chercher plus loin encore dans la mémoire du professeur Cosh, lire et relire les derniers rapports qu’il avait établis mais elle ne trouve rien sur ce qui a pu advenir du « messager de flore ». Elle aussi se pose la question de savoir de qui ou de quoi il peut s’agir. Quelle est donc cette race d’aliens qui avait osé tenter d’intervenir auprès de la population humaine, voire de la menacer, si peu de temps avant l’Exode.

Dans son cerveau c’est l’effervescence. De multiples connexions se font et l’aident à la réflexion. Une évidence se détache soudain. Alors que tout portait à penser que cette race d’alien voulait venir en aide à la population humaine, aucune suite n’avait été donnée à ses propos.

Pire encore, les derniers rapports que le professeur avait établis n’étaient qu’une suite d’échanges sur l’incompréhension des décisions des dirigeants des grands organismes internationaux. Ordre était même donné au professeur Cosh de se rendre auprès de son service de l’OMS afin d’être débriefé faute de quoi des mesures coercitives seraient prises à son encontre. À la suite de ces menaces voilées plus aucun rapport n’avait été fait et il n’existait plus aucune trace mémoire du sujet. Le professeur Louis Alexandre Cosh avait alors totalement disparu. Plus aucune trace le concernant n’a été découverte dans le caisson de 2053.

Et encore des questions qui se profilent : Pourquoi cette disparition ? Était elle normale, volontaire ou résultante d’une décision supérieure ? Et dans ce dernier cas, avait-il été éliminé pour faire taire la découverte et séquestrer le dit messager, ne surtout pas dévoiler un espoir indésirable, ne pas donner de faux espoirs au reste de la population.

Alors qu’elle repose les diodes de connexion crânienne, une idée lui vient en un éclair, peut-être en découvrira-t-elle plus si elle met la main sur les mémoires du docteur Ashfred, l’interlocuteur du professeur Cosh quant au « messager de flore ». Elle devait en apprendre plus sur cette race alien qu’elle décide de nommer « Flore ». Mais en premier lieu elle allait devoir faire venir Crisento pour le mettre dans la boucle, lui faire part de sa découverte et de ses conclusions. Lixia jubile déjà en imaginant la réaction de son compagnon, il allait certainement crier de joie !

Mais déjà dans l’oreillette de son casque le bruit se faisait entendre la sortant de son état d’excitation.

– Alerte, Professeur, alerte, Professeur. Deux mots répétés en boucle par la voix de Xd9

– Hein quoi ? Que se passe-t-il Xd9 ?

– La porte professeur, elle est sur le point d’être forcée.

Sans savoir qui tente d’entrer dans le laboratoire, Lixia sait qu’elle doit faire disparaître le dossier Cosh2053 et en particulier la section 248, il y va de son avenir, de l’avenir de la race humaine.

Avec regret et des larmes débordant de ses yeux bleus elle n’hésite pas et, allongeant l’index droit, elle finit par appuyer sur la commande manuelle de « reset » faisant disparaître à jamais le dossier Cosh2053, seule trace de cet homme si spécial dont elle a fait, au moins symboliquement, son vieil aïeul.

FIN