Samedi 17 décembre
Raphaël et Le bon chemin

La chute fut brève et la réception moelleuse mais très froide. Un tour de tête à droite, un à gauche, mais oui, encore une fois il ne se trouvait plus dans sa chambre mais dans un paysage hivernal, sur une pente douce couverte de neige. En observant plus attentivement, Raphaël constata qu’il tournait le dos à une obscurité totale qui ne lui disait rien de bon, mais là, loin devant lui, de petits éclats lumineux pétillaient produisant une légère lueur. La décision n’était pas difficile à prendre, il fallait avancer vers la lumière, pas d’autre solution. Il se mit debout, épousseta la neige qui le couvrait et commença à cheminer en s’enfonçant dans une poudreuse immaculée. Mais très vite un obstacle de taille se présenta, là devant lui et semblant occuper tout l’espace une grande masse verte teintée de points rouges lui barrait la route. Impossible d’atteindre la lumière, que faire ? Il avança doucement le bras, tendit la main droite et étira son index jusqu’à titiller l’obstacle. Pas de vent, pas de brise et pourtant d’un léger mouvement une feuille vint lui piqueter le bout du doigt. - Aie ! Non, pas encore ! Mais qu’est-ce que je t’ai fait ? Une voix grave lui répondit - Moi je ne te connais pas alors pas question de te laisser passer. - S’il vous plaît, faîtes un effort je dois rejoindre la lumière. - Donne moi une bonne raison à cela, et peut-être que je reverrais ma position. En attendant, recule, sinon je te pique encore. Raphaël ne se fit pas prier, il recula de trois pas et après avoir repris du poil de la bête s’adressa à l’inconnu. - Bonsoir, je m’appelle Raphaël, à qui ai-je l’honneur de parler ? - Oh ! Une présentation en bonne et due forme, il y avait bien longtemps que cela était arrivé. Je suis le gardien de ces lieux, je suis robuste, persistant et protecteur. Cela répond-t-il à ta question jeune visiteur ? - Et quel est votre petit nom ? Demanda alors Raphaël. - Je suis Mister Houx, gardien du village de Noël. - Enchanté, lança le garçon en tentant une nouvelle approche. Mais très vite il s’arrêta. - Bien tenté mais tu n’as toujours pas répondu à ma question. - Mais je ne sais pas exactement ce que je viens faire là, j’essaie de trouver comment prouver que je crois toujours en la magie de Noël, mais j’avoue que je rame un peu. - Sans réponse, pas de passage ! - Ah si seulement Maître Chritil était là, il pourrait, j’en suis sûr, m’aider à m’expliquer correctement. - Oh oh, tu parles de ce petit bonhomme à la bedaine verte et piquante comme mes feuilles ? Je le connais bien, mais cela fait longtemps que je ne l’ai plus vu. Comment va-t-il ? - Oui je pense que nous parlons de la même personne, il va bien et m’aide à trouver « le bon chemin ». - Le bon chemin, oui, je vois… - Mais alors si vous voyez, laissez moi avancer. - Encore bien essayé mon garçon mais j’attends toujours. - Pff, et vous ne servez qu’à ça ? À m’empêcher d’aller là où je le souhaite ? - Un peu de respect, veux tu ! J’existe depuis la nuit des temps, il y a bien longtemps j’étais une plante sacrée des dieux, on me vénérait. Ensuite j’ai été un protecteur cachant les justes fuyards. J’ai été béni pour ça par une certaine Marie. Et tous les ans en fin d’année les gens me cherchent pour que je leur apporte bonheur et protection. Alors je ne suis pas un simple empêcheur de tourner en rond. Oust, déguerpi, et ne reviens que lorsque tu auras une vraie demande ! Et comme pour accompagner ses propos, Mister Houx donna l’impression de vouloir avancer vers Raphaël qui n’eut d’autre solution que de rebrousser chemin. - D’accord pour cette fois, mais je reviendrai ! En se réveillant au petit matin, Raphaël n’avait aucune idée de la façon dont il était rentré. Une chose était certaine, il était en pyjama, bien sec et tenait encore le livre collé contre lui. Une obsession tournait en boucle dans sa tête il devait trouver une solution pour passer ce Mister Houx. Un peu plus tard, après avoir ingurgité le petit-déjeuner et s’être habillé chaudement, Raphaël se mit à tourner en rond dans la cuisine au point d’énerver Lisa. - Ça suffit maintenant, c’est le premier jour de vacances, tu ne vas pas me dire que tu ne sais déjà plus quoi faire ? - Désolé maman, je réfléchis. - Et à quoi réfléchis tu ? Demanda Papy Octave qui venait d’entrer dans la pièce. - Bonjour Papy, j’essaie de deviner comment traverser un buisson de houx. Ce n’est pas une chose facile je sais. À entendre son fils, Lisa éclata de rire. - Mais quelle idée saugrenue Raphaël. Et pourquoi donc une telle question ? - Euh juste comme ça, je me demandais. Papy Octave saisit l’occasion et attrapant le garçon par l’épaule il s’écria : - J’ai une idée ! - Quoi, tu as trouvé comment faire Papy ? - Ah ça non, mais je sais ce que nous allons faire. - Mais tu ne m’aides pas là, pleurnicha Raphaël. - Ce n’est pas grave, nous allons laisser ta maman tranquille et partir à la cueillette du houx pour décorer la maison. Quelques secondes de réflexion, mais oui, ce n’était pas une si mauvaise idée, en plus le soleil brillait sur la neige. Mais Raphaël avait déjà en tête une autre idée. - Papy, on peut passer prendre Lucille ? - Aucun souci mon bonhomme, appelle la et dis-lui de se tenir prête pour le début d’après midi. Ah voilà comment débuter d’un bon pied ces vacances de Noël. La balade dans les bois se déroula sur une grande partie de la demi-journée. Raphaël et Lucille couraient dans tous les sens en se lançant des boules de neige mais ils s’arrêtèrent d’un coup quand le grand-père annonça avoir trouvé le buisson de houx. Les enfants le rejoignirent aussitôt. Là devant leurs petits yeux se tenait un immense buisson bien vert couvert de ces belles billes rouges. Heureusement, le vieil homme avait tout prévu et c’est avec de gros gants qu’il commença à couper les branches les plus accessibles. - Attention les enfants, ça pique ! Mettez tout ça dans le grand panier. - Pas de problème Papy, je sais que ça pique, c’est un buisson sans pitié. - Ne sois pas si dur Raphaël une légende dit que Marie, Joseph et Jésus ont été sauvés par un gros buisson de houx alors qu’ils étaient poursuivis par les soldats du Roi Herode. C’est plutôt un acte généreux. - Pooo comme tu en sais des choses Papy ! Répondit Raphaël en riant. Un rire communicatif car Lucille l’accompagna rapidement. Puis après plusieurs coupes bien réfléchies le grand-père décida que la récolte était suffisante. - Papy, qu’est-ce qu’on va faire de tout ça ? - Moi je sais, dit Lucille avec un grand sourire, nous allons faire des décorations. On peut juste poser les branches ou encore en faire des couronnes, tu vas voir c’est super. L’activité de cette fin de journée était annoncée, ils rentrèrent et, après un bon chocolat chaud pour se réchauffer de cette sortie hivernale, commencèrent leurs fabrications dans des « Aie », « Ouille », « ça pique ! », mais toujours dans une bonne humeur. Et quand elle arriva de ses courses, Lisa s’émerveilla du résultat obtenu. Les branches de houx habillaient le bas du beau sapin, d’autres ornaient le manteau de la cheminée et surtout trois belles couronnes trônaient sur la table du salon. - Comme c’est joli, juste ce que je voulais pour la table du réveillon, vous êtes de vrais artistes. - Merci maman, mais Lucille nous a aussi bien aidé. - Ah donc tu as participé à ces créations. - Bien sûr et j’aime ça ! Vivement Noël et ses surprises ! Ce furent les derniers mots que Raphaël laissa échapper avant de monter se changer. Quand un peu plus tard il redescendit pour le dîner, il entendit son père qui parlait d’un drôle d’animal. Il demandait s’il était prévu d’en avoir, mais Lisa avait répondu qu’elle ne savait pas encore. « Ah mais comment avait-il appelé cette bête ? » se demanda Raphaël le soir en se couchant. « Oui ce doit être ça, une poule laide. Voilà un vrai défi, si je pouvais la découvrir et leur apporter, je suis certain que papa serait content et en même temps ça prouverait tous les efforts que je fais. » Mais déjà, il était temps de se coucher et de repartir à l’aventure, car oui pas question de laisser passer une soirée sans s’évader dans les mondes étranges de Maître Chritil. Quelle déception quand il découvrit le nouveau dessin, rien d’autre qu’un mug sur lequel il pouvait voir l’image d’une poule. Par dépit, il lâcha le livre qui tomba sur ses genoux et alors qu’il était en train de s’appuyer contre le mur, tout comme la veille, il se sentit partir en arrière...