La princesse des eaux

La princesse des eaux

Parler de l’eau en disant qu’elle mouille, se glace, s’évapore, ne serait que lapalissade. Dire qu’elle est surnaturelle, là oui, cela peut s’entendre.

Je me souviens de l’histoire de cette femme au visage doux, bien que fortement marqué par le temps.

Marielle était paisible, le regard embrassant chaque millimètre de ce jardin où elle aimait passer son temps. Elle savourait avidement chaque seconde qui s’écoulait.

Sa vie, elle avait toujours su si bien la définir : une trace dans l’univers, une chute d’eau qui très vite s’était muée en un rapide torrent, puis une impétueuse rivière pouvant tout aussi bien éviter les écueils que les prendre de front. Et, la sagesse aidant, elle s’était peu à peu transformée en un long fleuve se déroulant pour s’étaler doucement dans un delta aux ondes si calmes.

Une femme qui après une enfance et une adolescence heureuse, s’était unie avec son amour de jeunesse, son âme sœur. Une femme qui a consacré sa vie au bien être des siens.

Cette princesse des eaux, comme la définit son prénom Marielle, était là dans le jardin, assise sous le saule pleureur. Bien des choses lui revenaient, à commencer par ce qu’elle considérait comme l’acte de naissance de ce bel arbre. Il faut remonter une trentaine d’années en arrière, le jour où, au même endroit, elle avait appris le décès de son père. Un terrible choc et ce broc qui se renverse et déverse son contenu sur le sol. Une eau claire qui cheminera langoureusement dans une terre chaude jusqu’à rencontrer cette graine, l’enrober et l’aider à germer.

L’attachement à ce signe si prégnant du départ de ce père aimant ne l’a jamais quittée. Il s’est imposé dans son esprit lorsque plus tard, ayant perdu les eaux, elle donna naissance à sa fille unique. Une belle enfant, prénommée Brenna, « goutte d’eau », en référence à l’attrait inconditionnel que ses parents portaient à la culture celte.

La belle dame sourit au souvenir de cette petite fille, à la peau douce et claire comme la rosée du matin, arborant un superbe sourire.

Elle aimait aussi se remémorer l’égrainage successif des saisons apportant dans leurs bagages, cet élément si essentiel à l’existence ; l’eau, que ce soit sous forme de pluie, de neige ou de gel.

Mélancolique, elle reconnaissait sans honte avoir toujours admiré l’aspect paternel et protecteur de l’arbre dont les branches plongeantes pouvaient ployer sous le poids des flocons et cristaux, sans jamais cesser de protéger le sol de l’humidité tout autour de lui.

Et que dire des heures passées à observer ses fleurs qu’elle choyait et arrosait à pluie fine, à l’aide de son arrosoir vert pomme, avant de s’installer sur le petit banc en fer forgé à l’assise faite d’un bois lisse et doux. Un emplacement idéal pour profiter du spectacle, celui du butinage des abeilles qui n’oubliaient jamais de s’hydrater dans les fragiles coupelles multicolores.

Une vie bien remplie durant laquelle se sont croisés d’immenses moments de bonheurs et d’autres plus malheureux.

Elle revit les crises de rire à l’ombre de l’arbre quand la petite Brenna, les joues pleines de larmes, maudissait le soleil qui faisait couler, sur ses petits doigts, les glaces à l’eau au parfum de fraise.

Un autre beau souvenir lui revint en regardant à quelques mètres au fond du joli jardin le petit étang entouré de roseau où quelques rares nénuphars semblaient léviter sans but. Ce printemps-là avait été celui de la création de la petite pièce d’eau. Il faisait si chaud que, le creusant à la force de ses bras, son mari lui avait donné la vision d’un héros du monde antique, au torse nu, la peau luisant sous les perles de sueur.

Et, il y a eu cette funeste année au cours de laquelle la famille avait été frappée par la disparition du frère jumeau de Marielle, un homme si attachant. Il avait quitté ce monde, perdu dans les hauts sommets andins, enveloppé progressivement mais inexorablement par une meurtrière neige verglacée. Elle s’était toujours demandé pourquoi ce qui doit normalement donner la vie n’avait rien trouvé de mieux que de la lui ôter. Lui, l’aventurier invétéré qui avait vu tant de choses, fier d’avoir sillonné le monde et ses océans, d’en avoir affronté les eaux, qu’elles soient calmes ou tempétueuses.

Avec force et amour pour les siens, elle avait affronté l’épreuve, faisant tout pour abattre ce barrage imaginaire et reprendre le cours de la vie. Puis, le temps passant, telles les eaux calmes du delta, elle était devenue sans même s’en rendre compte plus spectatrice qu’actrice de cette vie si bien remplie.

Et la belle Marielle était finalement là, assise dans son jardin sous la protection de son saule pleureur qui maintenait une agréable température.

Tous ces si beaux souvenirs venaient alimenter l’ébullition de son esprit avant de s’envoler doucement telle la vapeur de l’eau.

Elle regarda enfin tendrement son époux. Lui demanda d’aller chercher cette bouteille qu’il conservait sous l’évier de la cuisine. Elle ne l’avait jamais fait, mais maintenant elle en avait envie. Elle souhaitait sentir descendre en elle cette eau-de-vie, qui si forte soit-elle, allait l’accompagner à l’heure du grand départ.

L’histoire dit que l’homme, triste, mais paisible de la voir partir si sereinement, n’avait versé qu’une larme. Une goutte légèrement salée qui après avoir coulé le long de sa joue avait poursuivi son chemin en caressant tendrement le visage de sa douce.

( Auteur : Stéphane Hamard – 2022 )

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